C’est avec Tosca, que l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, sous la direction musicale du chef Nir Kabaretti et dans la mise en scène originale et complétée par une nouvelle conception vidéo de Paul-Emile Fourny commémore dignement le 100e anniversaire de la mort de Giacomo Puccini.
Cet opéra, d’un immense fond tragique, mêlant intrigue politique et drame amoureux, emmène le spectateur dans une histoire teintée d’innovations technologiques fort intéressantes. A commencer par la création vidéo de Julien Soulier qui anime l’arrière-plan de scènes en l’augmentant d’éléments architecturaux ou de paysages. Assisté de Patrick Méeüs dont on admire le superbe travail sur les lumières et la scénographie, Paul-Emile Fourny concentre le drame sur les 4 personnages : Tosca, Mario Caravadossi, le peintre, Scarpia le chef de la police et le prisonnier politique Cesare Angelotti. Ces 4 protagonistes, qui meurent tous de mort violente, sont doublés par des anges gardiens, totalement dépourvus d’ailes qui ressemblent plus à des statues de pierre blanche. Les magnifiques costumes signés Giovanna Fiorentini, très inspirés du 19e siècle, sont essentiellement de couleur noire et grise pour les personnages principaux, blanche pour les enfants de chœur et rouge pour les cardinaux lors de l’impressionnante procession du Te Deum. Ces couleurs permettent, surtout à l’acte 1, de créer de véritables tableaux.
La direction d’acteurs est particulièrement remarquable de justesse dans l’expression scénique de chaque personnage, dont l’état d’âme est particulièrement complexe. Il faut dire que Puccini et surtout Tosca sied à merveille à Fourny qui gère fort bien les acteurs et le « Te Deum » est magnifiquement réussi, grandiose sur la scène du théâtre qui paraît bien plus grande qu’elle n’est en réalité. Un grand moment musical et intense.
Le scénographe Patrick Méeüs a bien respecté le livret de Victorien Sardou : le rituel des bougies placées autour de Scarpia mort par le double de Tosca, déjà en fuite après le meurtre. Un détail très intéressant : le moment où Tosca empoignant le crucifix déclenche un mécanisme dévoilant la présence d’un poignard. Une arme cachée dans un crucifix en dit long sur la personnalité perfide de Scarpia.
Avec une mise en scène aussi parlante et majestueuse, on s’attend à un casting à sa hauteur, mais là, le constat est un peu plus nuancé.
Le ténor Aquiles Machado, ténor très prometteur dont le disque a préservé quelques enregistrements de premier plan, connaît son Mario sur le bout des doigts, mais hélas, sa voix est à présent très altérée avec un vibrato difficile à contrôler, qui bouge la note à la limite de la justesse. En dépit de ces petits accidents, il reste un immense artiste, très professionnel et campe un Caravadossi avec une énergie tellurique, qui lui permet dans le dernier acte, in « E lucevan le stelle » émouvant dans une belle ligne de chant. Ses deux imprécations au 2e acte « Vittoria, Vittoria » sont de très beaux moments de théâtre musical.
La soprano bergamasque Francesca Tirbuzi incarne une merveilleuse et authentique Floria Tosca aux multiples facettes avec un égal bonheur dans tous les registres. Dès les trois « Mario » chantés depuis les coulisses, le ton est donné : le personnage est là dans toute sa complexité, tantôt intensément amoureuse, tantôt jalouse, profondément meurtrie, mais toujours diva. C’est bien sûr dans le long affrontement avec Scarpia qu’elle met le plus d’engagement et délivre un somptueux « Vissi d’arte, vissi d’amore », interprété tout en nuances, la voix prenant appui sur un souffle parfaitement contrôlé. Que c’était beau !!! Elle a habité sa Tosca avec fièvre.
Odieux et pervers à souhait, impassible, d’une froideur glaciale, vêtu d’un costume de cuir noir, qui lui donne des allures malfaisantes de sado-maso, le chef de la police Scarpia est interprété par le baryton Devid Cecconi. La noirceur de son timbre convient idéalement au plus horrible des méchants pucciniens, notamment dans la scène du Te Deum.
Joé Bertili est un Angelotti parfaitement crédible scéniquement, mais il n’en a pas encore exactement la force vocale. Il possède un timbre de basse encore un peu timide. Avec quelques années de plus, son registre des graves s’étoffera et il pourra alors aborder sans complexe des rôles verdiens et pucciniens.
Les rôles secondaires sont impeccables et contribuent à la magnifique qualité générale du spectacle. On a remarqué la douceur poétique d’Adélaïde Mansart dans le rôle du petit pâtre.
Orlando Polidoro prête à Spoletta l’allure veule liée au personnage avec en plus un timbre de ténor un peu nasillard.
Mais de tous les rôles secondaires, c’est bien Olivier Lagarde qui est le plus intéressant dans son rôle de sacristain difforme, portant une soutane romaine, se déplaçant avec grandiloquence. Il possède également une un beau timbre grave.
Remarquablement préparés, le Chœur de l’Opéra-Théâtre et le Chœur d’enfants spécialisé du Conservatoire à Rayonnement Régional de l’Eurométropole de Metz, sont d’un effet saisissant, tout en osmose, d’une fraîcheur confondante dans le Te Deum, sans oublier le beau et impressionnant moment musical à la fin du 1er acte.
Dans la fosse, l’Orchestre National de Metz, sous la direction avisée du chef américain Nir Kabaretti donne son meilleur. Donnant à l’Orchestre une fluidité et une texture de soie, sur laquelle glissent les motifs wagnériens, le chef fait ressortir sans effort, et avec magie, les moments les plus forts.
Au rideau final, le public a réservé une ovation nourrie à l’ensemble des artistes, témoignant ainsi par son enthousiasme de la beauté de la partition de Tosca. 100 ans après sa disparition, Puccini demeure effectivement l’un des compositeurs préférés.
Marie-Thérèse Werling
17 novembre 2024
Direction musicale : Nir Kabaretti
Mise en scène : Paul-Émile Fourny
Scénographie et lumières : Patrick Méeüs
Costumes : Giovanna Fiorentini
Nouvelle conception vidéo : Julien Soulier
Assistante à mise en scène : Noah Vannei
Floria Tosca : Francesca Tiburzi
Mario Cavaradossi : Aquiles Machado
Scarpia : Devid Cecconi
Le Sacristain : Olivier Lagarde
Cesare Angelotti : Joé Bertili
Spoletta : Orlando Polidoro
Sciarrone : Nathanaël Kahn
Le Pâtre : Adélaïde Mansart
Le Geôlier : Jean Sébastien Frantz
Les anges : Marie Lissnyder, Thiago Menezes, Thibault Pogorzelski, Lucas Vadillo
Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
Cheffe de chœur : Nathalie Marmeuse
Chœur d’enfants spécialisé du Conservatoire à Rayonnement Régional de l’Eurométropole de Metz
Orchestre National de Metz Grand Est