Le public s’empressait à nouveau dans la vaste enceinte de la salle des Princes du Grimaldi Forum pour ce deuxième volet de la trilogie proposée par l’Opéra de Monte-Carlo dans le cadre des célébrations du centenaire de la disparition de Giacomo Puccini . A l’affiche : Tosca, œuvre flamboyante qui marqua le début du 20e siècle lyrique puisque créée au Teatro Costanzi à Rome le 14 janvier 1900.
Une version semi-scénique plutôt que de concert
Le programme de salle mentionne : « Opéra en version de concert » mais, en l’occurrence, il s’agit plus exactement d’une version à propos de laquelle le terme de « semi-scénique » semble mieux adapté dans la mesure où, l’orchestre joue en fosse tandis que, sur le plateau, les protagonistes interprètent leur rôle sans pupitre ni partition. De surcroît, des projections en fond de scène proposent au premier acte divers plans de l’église Sant’ Andrea della Valle à Rome et au deuxième acte les jardins puis l’intérieur du Palais Farnese. A l’acte 3 à l’extérieur du Castel Sant’ Angelo, avec en contrebas le Tibre, succède la plateforme du château où se déroule l’exécution de Mario, suivie d’une vue panoramique sur Rome où Tosca de dos, les bras écartés, est censée mettre fin à ses jours par une chute vertigineuse.
Les choristes féminines pour le solennel « Te Deum » qui conclut le premier acte portent des robes longues noires bordées d’une sorte d’étole de couleur claire. Les chanteurs pour leur part se présentent en tenue de soirée.
Au salut final, en hommage au compositeur, projection de photos de Puccini et notamment, celle avec son chauffeur de part et d’autre d’une voiture automobile d’époque.
En Mario Cavaradossi Roberto Alagna fait honneur à sa réputation
On pouvait s’interroger sur l’état de forme de Roberto Alagna dans la mesure où certains critiques avaient formulé quelques réserves lorsque cet été il avait endossé le rôle de Mario Cavaradossi aux Chorégies d’Orange aux côtés de son épouse Aleksandra Kurzak et du baryton Bryn Terfel (A noter qu’il s’agissait, là encore, d’une version de concert mais dans laquelle les solistes, libérés de leurs pupitres et de leurs partitions, pouvaient jouer leur rôle à l’instar d’une version « théâtrale», en occupant l’espace du vaste plateau du théâtre antique balayé ce soir là par un fort mistral).
Il est rassurant de constater que sur la scène du Grimaldi Forum, notre ténor national fait honneur à sa réputation. La voix conserve en effet une clarté juvénile de timbre qu’on lui connait et son articulation expressive coutumière, une puissance qui ne lui fait à aucun moment défaut dans une aussi vaste salle, un registre aigu qui lui permet de rendre justice à ce rôle dans les passages tendus («La vita mi costasse» ) ainsi qu’un phrasé soutenu dans les phrases élégiaques (« E lucevan le stelle »)
Tombent donc, en la circonstance, les réserves qui pourraient être émises fondées sur un « comparatif » des diverses époques de la carrière du ténor. N’oublions pas que son tout premier rôle interprété à l’Opéra de Monte-Carlo fut celui d’Alfredo Germont dans La Traviata (en remplacement d’un ténor alors souffrant) aux côtés de Nelly Miricioiu et de Piero Cappuccilli en janvier 1989, c’est-à-dire il y a 35 ans ! (il avait alors 25 ans). A quatre ans près, il aura donc accompli une carrière de 40 années et peut-on demander à un ténor (voix par essence fragile) de posséder pendant quatre décennies très exactement le même timbre, la même couleur, la même clarté de voix et les mêmes facilités dans les divers registres ? L’objectivité conduit à constater que pareils cas demeurent extrêmement rares. En conséquence, nous ne pouvons que saluer sa remarquable prestation en cette soirée du 15 novembre, d’autant qu’au-delà de la voix, Roberto Alagna a toujours eu un sens inné du théâtre et on le sentait, en la circonstance, parfaitement à l’aise d’un point de vue de l’expression dramatique et de la maîtrise scénique. Au demeurant, il s’avère qu’il a chanté le rôle de Mario maintes fois y compris dans l’adaptation cinématographique de l’ouvrage de Puccini réalisée par Benoît Jacquot. Un film présenté au Festival de Venise de 2001 en sélection officielle hors compétition et qui réunissait Angela Gheorghiu et Ruggero Raimondi (le hasard fait qu’en cette soirée nous avons eu le plaisir de croiser la célèbre basse à l’entracte dans le foyer du Grimaldi Forum).
Luca Salsi un Scarpia au chant puissant et théâtralement spectaculaire
Luca Salsi confère au rôle du Baron Scarpia tout ce que l’on attend de pareille interprétation à savoir, l’homme cauteleux, débauché, pervers, sournois, dévoré par une passion érotique effrénée et mû par un sadisme et une cruauté sans bornes. Sa voix de baryton s’impose, ample, puissante, solide, incisive servant comme il convient les éclats véristes et le « Te Deum » qui conclut le premier acte s’avère particulièrement spectaculaire, surtout que le chœur de l’Opéra de Monte-Carlo se hisse ici à un très haut niveau soutenu par un orchestre somptueux sous la baguette du chef Marco Armiliato, décidément le triomphateur de cette trilogie puccinienne.
Maria José Siri une Tosca quelque peu en retrait de ses partenaires
Dans le rôle-titre, on a retrouvé la soprano uruguayenne Maria José Siri qui poursuit une carrière internationale significative. Nous avons eu récemment l’occasion de l’entendre et à plusieurs reprises : aux Arènes de Vérone notamment dans Cavalleria Rusticana (où son partenaire était précisément Roberto Alagna) ainsi que dans l’Aïda du centenaire dans la mise en scène symboliste et futuriste de Stefano Poda, et encore voici seulement quelques mois, en février 2024, puisque elle se produisait à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo dans Cavalleria Rusticana dans le rôle de Santuzza avec un indéniable succès. Sa voix de soprano lyrico-dramatique lui permet, au demeurant, de se confronter à des emplois tels que Abigaille de Nabucco, le rôle-titre de la Wally ainsi que celui d’Aïda, Elisabeth de Valois dans Don Carlo ou encore La Gioconda.
Nous nous sommes – et nous n’étions pas les seuls – étonnés d’une prestation si peu impliquée et convaincante sur le plan théâtral. Ceci pose problème dans une œuvre d’une exigence évidente compte tenu de l’intensité sulfureuse de cet opéra basé sur le mélodrame de Victorien Sardou (créé par Sarah Bernhardt) parfaitement adapté par Luigi Illica et Giuseppe Giacosa dans leur livret. Son manque d’engagement en la circonstance semble reposer sur le fait que la cantatrice s’attendait peut être ( ? ) à une version de concert en la forme traditionnelle et qu’elle a découvert qu’il s’agissait, en réalité de s’investir en outre dans interprétation scénique. Par ailleurs, et assez curieusement, le chant reste d’un bout à l’autre relativement monochrome sans l’émotivité débridée qui sied et en outre privée des accents vocaux ardents et tragiques que l’on souhaite entendre dans ce personnage de femme amoureuse, jalouse, et par ailleurs torturée, ou en révolte face à la pression tyrannique de Scarpia en proie à ses pulsions, ce qui implique un large spectre de couleurs et de contrastes que nous n’avons pas retrouvés dans le personnage de cette héroïne ici démunie du pathos qu’exige ce rôle de tragédienne lyrique. Dommage au regard des deux partenaires qui l’entouraient et qui ont pour leur part, donné une interprétation dans laquelle ils étaient parfaitement investis !
Des rôles secondaires de qualité
Au-delà de ce trio et parmi les rôles secondaires notons les prestations fort justement remarquées de Giovanni Roméo dans le sacristain, de Giorgi Manoshvili dans Cesare Angelotti (après son émouvant Colline de La Bohème ) et de Reinaldo Macias dans Spoletta.
Un orchestre en état de grâce et un chef inspiré
Une fois de plus, l’un des principaux éléments du succès de ce spectacle revient à l’évidence à l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, d’autant plus somptueux que la baguette exceptionnelle de Marco Armiliato s’attache encore le transcender. On ne sait qu’admirer dans sa direction qui sait insuffler à la phalange monégasque le sens, la puissance, le lyrisme et la théâtralité de l’œuvre de Puccini.
Christian Jarniat
15 novembre 2024
Direction musicale : Marco Armiliato
Chef de chœur : Stefano Visconti
Chef de chant : Kira Parfeevets
Distribution :
Floria Tosca : Maria José Siri
Mario Cavaradossi : Roberto Alagna
Le Baron Scarpia : Luca Salsi
Un sacristain : Giovanni Romeo
Cesare Angelotti : Giorgi Manoshvili
Spoletta :Reinaldo Macias
Sciarrone : Paolo Marchini
Un geôlier : Fabio Bonavita
Un berger : Galia Bakalov
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Chœur d’enfants de l’Académie de musique Rainier III