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Entre tradition et modernité : Madama Butterfly séduit à Marseille

Entre tradition et modernité : Madama Butterfly séduit à Marseille

dimanche 17 novembre 2024

©Christian Dresse

De l’échec à l’immortalité, Madama Butterfly incarne à elle seule la revanche du génie musical de Giacomo Puccini. Si sa première représentation en 1904 se solda par un désastre retentissant, l’opéra s’impose depuis comme l’un des chefs-d’œuvre incontestés du répertoire lyrique, occupant aujourd’hui la sixième place des ouvrages les plus joués au monde. A l’occasion du centenaire de la mort de Puccini, l’Opéra de Marseille célèbre en la circonstance l’héritage intemporel du compositeur.

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©Christian Dresse

Reprise d’une production créée par l’Opéra National de Lorraine en 2019, la mise en scène d’Emmanuelle Bastet, présentée ce week-end à Marseille, séduit par sa sobriété et sa poésie. Le décor unique et épuré évoque métaphoriquement les hauteurs de Nagasaki ainsi que l’habitation traditionnelle japonaise. Une structure centrale ondulante délimite ces espaces : l’intime de la domesticité en bas, et l’espace public au-dessus. Les deux univers sont rejoints par un escalier central.

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©Christian Dresse

Les paravents mobiles, élément clé de la scénographie, cloisonnent ou ouvrent les volumes avec une fluidité remarquable. La dimension symbolique et poétique du récit s’en trouve renforcée. Chaque transformation accompagne l’action créant ainsi une narration visuelle en parfaite harmonie avec la musique de Puccini.

Un formidable travail de lumière magnifie l’ensemble. La pluie d’étoiles pour le duo final du premier acte, la douce lueur de l’aube précédant le retour de Pinkerton, et l’éclat poétique du printemps enrichissent l’émotion sans alourdir le propos.

La sobriété inventive caractérise cette mise en scène. Elle fait honneur à l’œuvre et transporte le spectateur dans un univers sensible et élégant. Entre respect de la tradition et modernité poétique, la scénographie se révèle comme une belle réussite !

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©Christian Dresse

Dans cette production marseillaise de Madama Butterfly, Alexandra Marcellier offre une interprétation qui emporte l’adhésion du public, couronnée par une belle ovation. Si ses débuts, marqués par l’entrée du chœur, demeurent mesurés et sur la retenue, la soprano affirme progressivement un personnage d’une grande profondeur. Elle s’éloigne du portrait classique d’une Cio-Cio San naïve et juvénile pour incarner une héroïne résolue, consciente et déterminée. Son mariage avec Pinkerton devient un acte d’amour sincère et partagé, s’éloignant ainsi des clichés d’un exotisme superficiel et prédateur.

Alors que le gouffre tragique entre l’illusion amoureuse de Butterfly et la réalité cruelle de son abandon se creuse, Alexandra Marcellier déploie tout son lyrisme et sa force de tragédienne dans un deuxième acte bouleversant. La richesse de son timbre et la puissance de ses aigus traduisent avec sincérité les tourments de son personnage. Cette évolution se reflète également dans la mise en scène, qui adopte des codes visuels plus occidentaux (présence d’une radio dans sa maison, gestuelle moins japonisante, vêtements sur le modèle américain…) suggérant une transformation autant culturelle qu’intime. Ce choix renforce la modernité de l’interprétation et inscrit ce rôle-titre dans une lecture poignante. Avec sa voix ample Alexandra Marcellier livre une Butterfly vibrante, sincère et profondément humaine qui a conquis le public marseillais.

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©Christian Dresse

Dans le rôle de Pinkerton, Thomas Bettinger propose une interprétation qui s’éloigne des clichés habituels du prédateur occidental cynique et insensible. Son personnage, loin du simple collectionneur de conquêtes exotiques, se révèle plus ambigu, presque attaché à Cio-Cio San. Face aux conséquences de ses actes, son tempérament lâche et égoïste ressurgit. Partagé entre fascination et irresponsabilité, l’incarnation proposée déroute dans un premier temps. Le ténor parvient à diffuser une certaine humanité dans ce personnage souvent unilatéral. Son jeu scénique met en avant le « yankie vagabond » emporté par la découverte des coutumes locales et incapable de mesurer pleinement les implications de ses choix. La mise en scène esquisse un portrait d’une Amérique fragile, en quête constante de réassurance imagée par son représentant trouvant refuge tour à tour dans les bras de Butterfly puis dans ceux de sa femme. Cependant si l’interprétation de Thomas Bettinger reste cohérente, l’aspect vocal souffre d’un certain manque de constance malgré des aigus biens projetés.

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Eugénie Joneau brille dans le rôle de Suzuki, notamment lors du duo des fleurs et du trio qui amorce la bascule tragique de l’intrigue. Avec une voix chaude et sobre empreinte de finesse et de poésie, la mezzo-soprano française livre une prestation remarquée, évoquant la grâce d’une fleur dans un jardin japonais. Son interprétation sensible et nuancée souligne une maturité vocale prometteuse, confirmant qu’elle est une artiste à suivre de près !

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©Christian Dresse

La production de Madama Butterfly à l’Opéra de Marseille se distingue par ses solides rôles secondaires. Marc Scoffoni (Sharpless) offre noblesse et bienveillance, malgré une voix parfois fragile. Philippe Do impeccable Goro capture parfaitement son rôle d’entremetteur. Jean-Marie Delpas (Le Bonze) apporte une certaine autorité, mais son interprétation aurait pu gagner en intensité pour mieux refléter la colère du personnage. Marc Larcher (Yamadori) est convaincant dans son rôle sadique, bien que sa prestation vocale manque un peu de force. Frédéric Cornille (Commissaire Impérial), Norbert Dol (Yakusidé) et Pascal Canitrot (Officier du registre) complètent efficacement l’ensemble avec des performances discrètes mais solides.

Le maestro Paolo Arrivabeni livre une prestation magistrale, confirmant sa réputation d’interprète de référence du répertoire italien. Dès les premières mesures, l’orchestre impose son dynamisme et son raffinement, véritable sensation de cette représentation ! Sous la baguette inspirée d’Arrivabeni, l’ensemble a transcendé les attentes pour révéler toute la richesse et la subtilité de la partition de Puccini. Chaque intention semble sculptée avec soin : phrasés précis, tempi d’une justesse irréprochable, équilibre sonore remarquable. Avec une attention constante portée au plateau vocal. Jamais l’orchestre ne couvre les voix, bien au contraire : il dialogue avec elles, les mettant en lumière. Le chef a su faire de cette performance une célébration puissante ou poésie et délicatesse s’entremêlent harmonieusement.

L’orchestre brille certes, mais les chœurs préparés par Florent Mayet, dirigés avec rigueur, se distinguent également. Leur interprétation du célèbre passage à bouches fermées suspend littéralement le temps par sa douceur et son mystère. L’instant est magnifié par le choix de mise en scène et l’évolution du décor ! Cependant, on regrettera l’arrivée du premier acte qui a manqué de progressivité : trop présents dès leur apparition, ils auraient gagné en impact avec une montée en puissance plus subtile.

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©Christian Dresse

Avec son récit poignant et lisible, Madama Butterfly demeure une clé d’entrée idéale pour quiconque souhaite découvrir l’opéra. La sobriété et l’élégance intemporelle de la mise en scène d’Emmanuelle Bastet, conjuguées à une direction musicale précise et inspirée, permettent de révéler toute la richesse émotionnelle de l’œuvre de Puccini. Portée par un casting vocal cohérent cette production marseillaise a su émouvoir et transporter le public.

La soirée s’est achevée sur une ovation chaleureuse, marquée par une attention toute particulière : un joyeux anniversaire adressé au chef d’orchestre, un moment plein de gratitude et d’émotion, qui a fait sourire tant les artistes que le public !

Aurélie Mazenq
17 novembre 2024

Direction Musicale : Paolo Arrivabeni
Mise en scène : Emmanuelle Bastet
Scénographie : Tim Northam
Costumes : Véronique Seymat
Lumières : Bernd Purkrabek

Distribution

Cio-Cio San  : Alexandra Marcellier
Suzuki :  Eugénie Joneau
Kate Pinkerton :  Amandine Ammirati
La Mère De Cio-Cio San  : Christine Tumbarello
Zia : Miriam Rosado
Cugina : Francesca Cavagna
Pinkerton : Thomas Bettinger
Sharpless : Marc Scoffoni
Goro : Philippe Do
Le Bonze : Jean-Marie Delpas
Le Prince Yamadori : Marc Larcher
Le Commissaire Impérial : Frédéric Cornille
Yakusidé  : Norbert Dol
L’officier du Registre : Pascal Canitrot

Orchestre et Chœur de l’opéra de Marseille

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