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La Forza del destino au Liceu de Barcelone

La Forza del destino au Liceu de Barcelone

samedi 9 novembre 2024

©A Bofill

La Forza del destino incarne à merveille le drame romantique, où la fatalité du destin imprime sa marque sur chaque acte. Dans cette œuvre de maturité de Verdi, l’amour impossible, la mort, et la quête de rédemption composent un récit envoûtant. Musique et drame s’entrelacent de manière indissociable. Sur fond de foi et de repentir, le compositeur nous plonge ici dans une fresque humaine où passions et mysticisme se répondent avec intensité.

Minimalisme scénique pour capter l’essence du destin

La mise en scène signée Jean-Claude Auvray et initialement coproduite en 2011-2012 avec l’Opéra de Paris, a été revisitée pour cette représentation au Liceu sous la direction musicale de Léo Castaldi. Dans cette version, le parti pris est clair : éviter toute lecture trop complexe pour mettre en lumière la narration, les lieux et les différentes temporalités de cette histoire qui s’étire sur plus de cinq ans. Cette proposition se distingue par une grande lisibilité et une sobriété élégante, permettant d’entrer au cœur de l’œuvre sans détour.

Les tableaux défilent avec une esthétique minimaliste qui fait la force de cette production : du champ de bataille chaotique au monastère lugubre, en passant par le sinistre palais des puissants et la taverne joyeuse, chaque espace est dépeint avec une économie d’éléments visuels qui laisse place à l’imagination du spectateur. Quelques accessoires (une table, un crucifix, un lit de camp, des voilages)  disposés avec précision suffisent à instaurer les atmosphères, chaque lieu prenant vie avec une identité propre.

Un formidable travail d’éclairage, orchestré par Laurent Castaingt, donne à la scène une profondeur et une émotion presque palpables. Les jeux de lumière font résonner chaque tableau, enveloppant l’opéra dans une nuit quasi permanente conférant ainsi à l’œuvre une esthétique mélancolique et intemporelle. Par ses nuances, ses ombres et ses clairs-obscurs, l’éclairage sculpte les ambiances, les teintant de douceur, de nostalgie ou de puissance, et accompagne subtilement le drame.

Dans cette mise en scène épurée, la musique de Verdi s’impose comme la véritable star. Libérée des « distractions scéniques », elle capte toute l’attention, révélant l’intensité des passions humaines et la force tragique qui animent cette œuvre.

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Une Léonora superlative

Arrivée en remplacement de Maria Agresta, initialement prévue pour ce rôle, l’expérimentée Anna Pirozzi connaît tous les rouages de cette production et livre une interprétation remarquable. Dès ses premières intonations, elle transmet le profond conflit intérieur de Leonora : partagée entre la culpabilité d’avoir désobéi à son père, le marquis, et l’amour irrésistible qu’elle éprouve pour l’homme mystérieux qu’elle vient de rencontrer. Sa passion juvénile et son innocence se brisent rapidement face aux coups impitoyables du destin.

Séparée d’Alvaro par une force inexorable, Leonora se consume d’amour et endure toutes les souffrances imaginables pour cet amour impossible. Le chant de la soprano napolitaine, d’une grande finesse, s’avère d’une précision incomparable sur tous les registres de la voix : graves  charnus et assurés, médiums pleins et riches, et aigus toujours projetés avec une clarté parfaite. L’utilisation de ses moyens vocaux se fait en parfaite adéquation avec les exigences de l’œuvre. Ainsi s’exprime le pur tempérament d’une soprano lirico spinto, pour notre plus grand plaisir.

Lors de l’air « La Vergine degli angeli », sa voix résonne en toute harmonie, avec maîtrise et humilité, atteignant une rare alchimie entre simplicité des moyens et perfection de l’effet. Dans son ultime prière, « Pace, pace mio Dio », Anna Pirozzi dévoile une facette plus introspective du personnage, implorant le ciel pour une paix inaccessible depuis le début de sa retraite. Une interprétation magistrale qui allie profondeur et virtuosité.

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Une distribution sans fausses notes !

Étoile montante de l’opéra, le ténor Brian Jagde prête sa voix et son énergie au rôle complexe de l’infortuné Don Alvaro. Sa prestation impressionne particulièrement dans l’acte III, où il incarne avec conviction la force et la vaillance d’un héros militaire. Le duo avec Don Carlo, où ils se jurent une amitié éternelle, reste l’un des moments les plus marquants de la représentation : une pause poignante et solennelle avant que le destin ne frappe à nouveau, révélant leurs véritables identités et ravivant les rivalités.

Brian Jagde possède une projection remarquable, un timbre clair, et des aigus exécutés avec une aisance impressionnante. Si son interprétation semble déjà très convaincante, il pourrait encore approfondir l’incarnation du personnage amoureux et passionné pour ajouter davantage de nuances à son chant, et ainsi explorer toutes les subtilités du rôle.

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Dans le rôle de Don Carlo di Vargas, le baryton polonais Artur Ruciński donne vie à un personnage animé par une haine vengeresse insatiable. Cette rancune, née de la mort accidentelle de son père, qu’il impute à Don Alvaro, l’amant de sa sœur Leonora, conduit Don Carlo à une obsession dévorante le menant inexorablement à l’autodestruction. Artur Ruciński incarne avec une intensité palpable cet anti-héros à la fois noble et implacable, dont la noirceur ne fait que croître au fil de l’œuvre. Véritable baryton verdien, le rôle de Don Carlo sied parfaitement à sa voix à la fois sombre et puissante. Sa maîtrise technique et son phrasé élégant confèrent au personnage une dimension authentique et nuancée, tandis que son engagement scénique total donne une profondeur à chaque intervention. Son timbre, ample et incisif, symbolise à merveille la rigidité implacable du frère vengeur, qui devient peu à peu l’instrument de sa propre ruine.

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Caterina Piva dessine avec fougue la gitane Preziosilla, véritable personnage d’opera buffa à la tessiture de mezzo-soprano claire avec une grande aisance dans les aigus. Elle s’investit pleinement dans ce rôle haut en couleur, alternant danses endiablées sur les tables de la taverne, effeuillages sensuels, prophéties lancées avec une audacieuse désinvolture, et exaltation de la guerre. Son engagement scénique est total et donne vie à la fougue de Preziosilla, bien que cet enthousiasme débordant se fasse parfois au détriment de la précision du chant.

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Face à l’insolence païenne de la gitane, Fra Melitone se veut la figure populaire du religieux débonnaire, à la fois jovial et obstiné. Pietro Spagnoli se glisse avec brio dans ce rôle, offrant un moment de satire sociale et de légèreté dans l’univers sombre de l’opéra. Son interprétation, pleine de finesse, met en lumière la critique des faux dévots et des hypocrisies religieuses, sans jamais sacrifier la musicalité. Il parvient à un équilibre parfait entre la « drôlerie » du personnage et le respect scrupuleux de la partition, contribuant à une prestation aussi vivante que subtile.

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Le Père supérieur de John Relyea avec une autorité bienveillante et mesurée, met au service de ce rôle d’ecclésiastique indulgent et consolateur, avec une autorité bienveillante, sa superbe voix de basse profonde, qui suscite un effet des plus émouvants. Son interprétation confère au personnage une sagesse apaisante, et son soutien indéfectible apporte un grand secours à la pénitente Léonora, qu’il guide sur le chemin de la rédemption, tout comme Alvaro lors de la scène finale. La qualité des moyens vocaux de la basse est remarquable et résonne parfaitement avec les chœurs, préparés avec soin par Pablo Assante, pour une scène d’une intensité saisissante.

Nicola Luisotti et l’Orchestre : Une alchimie au service de la tragédie

La direction d’orchestre flamboyante de Nicola Luisotti insuffle à l’œuvre une énergie rafraîchissante. L’orchestre, visiblement enchanté par cette collaboration, s’épanouit sous cette conduite vibrante et nuancée. Le chef italien parvient à conférer à l’œuvre la nécessaire urgence dramatique en évitant tous les excès pouvant dénaturer la finesse de l’orchestration de Verdi. L’ouverture de La Forza del destino, l’une des pièces symphoniques les plus abouties de Verdi,  dominée par un motif mélodique inquiétant qui symbolise le destin, se trouve soutenu par une superbe intervention de la clarinette solo. Dans cette production, ce passage attendu ne se situe pas au tout début de l’œuvre. Le spectateur doit patienter, car l’opéra débute, en la circonstance, directement avec le premier acte, à la manière de la version originale de 1862. Les célèbres notes raisonneront donc juste avant le début du second acte.

Ce choix audacieux, recréant l’expérience initiale, constitue un effet dramatique saisissant. L’ouverture se fait entendre juste après la terrible malédiction lancée par le père mourant (incarné par Giacomo Prestia) et la décision de Don Carlo de venger son honneur sur le corps de son père. Ce placement souligne le poids inexorable du destin et amplifie la tension dramatique, préparant ainsi le public à la tragédie inéluctable qui s’ensuit.

Avec cette interprétation passionnée et maîtrisée, le Grand Teatre Del Liceu offre une très belle soirée, rappelant combien l’œuvre de Verdi demeure, par sa profondeur et sa puissance émotionnelle, une fresque intemporelle du destin humain. Pour prolonger ce voyage verdien, rendez-vous est déjà pris en janvier avec La Traviata, qui promet de nous replonger dans un univers où amour et tragédie s’entrelacent, pour notre plus grand plaisir.

Aurélie Mazenq
9 novembre 2024

Direction : Leo Castaldi

Metteur en scène Jean-Claude Auvray :

Décors Alain Chambon

Costumes : Maria Chiara Donato

Lumières : Laurent Castaingt

Distribution : 

Leonora : Anna Pirozzi

Don Carlo di Vargas : Artur Ruciński

Alvaro : Brian Jagde

Padre Guardiano : John Relyea

Preziosilla : Caterina Piva

Marchese di Calatrava : Giacomo Prestia

Fra Melitone : Pietro Spagnoli

Trabuco : Moisés Marín

Curra : Laura Vila

Orquesta Sinfónica del Gran Teatre del Liceu

Coro del Gran Teatre del Liceu

Chef des chœurs : Pablo Assante

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