Comment, une fois de plus, ne pas faire pareil constat ? Aujourd’hui en France, deux entités continuent à assurer en permanence une saison « significative » d’opérettes d’une part, le Théâtre de l’Odéon à Marseille (direction Maurice Xiberras) et d’autre part, TLA Production sous la houlette d’Annie Grenier. Pour ce qui concerne cette dernière, les opérettes au programme sont la plupart du temps représentées dans la grande salle de spectacle du Casino Barrière de Toulouse puis répliquées ensuite, totalement ou partiellement, au Pin Galant de Mérignac non loin de Bordeaux, ainsi qu’au Festival d’Opérette de Lamalou-les-Bains, et quelquefois également à Perpignan, Cap d’Agde ou encore en d’autres lieux.
C’est ainsi que Serge Manguette dont on connaît la passion pour l’opérette et la danse (en sa qualité de metteur en scène et de chorégraphe et qui partage, de longue date et avec succès, son temps entre la France et l’Italie) avait l’an passé mis en scène une œuvre d’Offenbach, en l’occurrence La vie Parisienne1, avec quelques-uns des meilleurs spécialistes du genre comme Florian Laconi, Morgane Bertrand, Ève Coquart, Laurent Arcaro… Le succès fut tel que cette œuvre, représentée en divers lieux, donne en ce mois d’octobre l’occasion d’honorer une fois de plus Offenbach avec un titre non moins célèbre à savoir celui de La Périchole créée en octobre 1868 au Théâtre des Variétés inspiré de la comédie de Prosper Mérimée : Le Carosse du Saint-Sacrement. Notons au passage la similitude entre les deux héroïnes du célèbre auteur : Carmen et la Périchole, deux femmes libres auxquelles les hommes ne peuvent ni ne savent résister.
Les pérégrinations des deux chanteurs de rues dans la ville de Lima au Pérou, dans laquelle le vice-roi se livre à tous les excès dans son riche palais, tandis que les habitants vivent dans des conditions précaires, renvoient aujourd’hui à l’actualité. Le Vice-Roi apercevant la belle Périchole n’hésite pas pour la séduire à lui offrir la fortune et un rang élevé, tandis que celle-ci va néanmoins demeurer un tant soit peu fidèle à son partenaire et futur mari Piquillo.
La musique d’Offenbach de vif argent convoque les mêmes librettistes que Carmen à savoir Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Tout séduit dans ce chef-d’œuvre de celui que l’on nommait « le petit Mozart des Champs-Elysées ». N’oublions pas non plus que la créatrice du rôle Hortense Schneider, la grande diva de l’époque, fut admirée non seulement par le public mais aussi par les souverains, rois et empereurs et que toutes les têtes couronnées du monde se pressaient dans sa loge, à l’instar de l’empereur Napoléon III et du prince de Galles, du tsar Alexandre II de Russie, mais aussi du khédive d’Égypte, Ismaïl Pacha, avec qui elle entretint une liaison.
Demeurent bien entendu comme des « tubes », l’air de l’héroïne à savoir sa célèbre lettre « Ô mon cher amant, je te jure » mais aussi l’air de la griserie « Ah ! Quel dîner je viens de faire ! », sans compter la complainte de L’Espagnol et de la jeune indienne, du final du 2ème acte avec les couplets des « maris récalcitrants », et à l’acte 3 l’air de La Périchole « Je t’adore brigand ». Grâce à la mise en scène vivante et alerte de Serge Manguette, qui tout au long de l’ouvrage prend le parti de chorégraphier l’ensemble des numéros y compris l’intervention du chœur, tout pétille à chaque instant sans qu’une seule minute d’ennui s’installe, car il parvient à enchaîner à vive allure toutes les scènes de l’œuvre.
Et quelle distribution ! … Avec notamment Florian Laconi qui, depuis plus de vingt ans1 s’illustre sur toutes les scènes comme sans doute l’un des meilleurs – et plus prolifiques – ténors français. Et l’on admire de surcroît – et peut-être le plus chez cet artiste – la faculté de savoir passer avec le même bonheur du grand répertoire lyrique (comme celui de sa récente Africaine à l’Opéra de Marseille et son prochain Sigurd dans le même théâtre, ainsi que Samson et Dalila qu’il va chanter prochainement à l’Opéra de Saint Etienne), à l’opérette et ce dans tous les styles depuis les grands viennois comme Le Pays du sourire ou La Veuve joyeuse de Franz Lehár, au Chanteur de Mexico de Francis Lopez, sans oublier les Offenbach comme La Vie parisienne ou La Périchole. Voici qui inflige un cinglant démenti à ceux qui veulent, à toute force, opérer des « classifications » de chanteurs dans les œuvres lyriques. Il incarne ici un électrisant Piquillo d’une générosité vocale éblouissante, ses qualités de comédien n’étant de surcroît jamais prises en défaut.
On pourrait en dire autant de sa partenaire Ahlima Mhamdi qui dessine avec autant de charme que d’élégance une excellente Périchole (après une remarquable Belle Hélène proposée par Olivier Desbordes en tournée avec Opéra Eclaté) mais on sait qu’elle s’illustre aussi dans l’opéra et notamment en une remarquable Carmen2.
Laurent Arcaro (partenaire attitré de Florian Laconi dans Opéra Locos, qui va être repris à nouveau au Théâtre Bobino à Paris et qui représente un extraordinaire succès du pastiche des artistes d’art lyrique), campe un vice-roi retors et ambigu doté d’une fort belle voix de baryton.
Les trois cousines, impeccables aussi bien sur le plan vocal que sur celui de la comédie, occupent la scène avec un dynamisme particulièrement réjouissant.
Quant à Don Miguel de Panatellas et Don Pedro de Hinoyosa, ils bénéficient de la solide expérience de deux très grands spécialistes de l’opérette et de la comédie musicale, à savoir Grégory Juppin (carrière éloquente dans une multiplicité de rôles) et Eloi Horry (nous avions particulièrement apprécié récemment ce dernier dans Chanson gitane de Maurice Yvain à l’Odéon de Marseille).
Enfin, une mention toute spéciale à Christian Blain dans un inénarrable Marquis de Tarapote qui se mue à l’acte 3 en un vieux prisonnier exécutant un numéro particulièrement hilarant à l’avant-scène puis entre les travées du public.
On doit aussi à Claude Lourties d’avoir mené au succès cette opérette grâce à sa baguette alerte et à sa profonde connaissance du répertoire lyrique léger.
Salle archicomble et vibrants applaudissements aux saluts d’un public particulièrement réjoui.
Christian Jarniat
20 octobre 2024
1 Rappelons que Serge Manguette a mis en scène et chorégraphié La Vie parisienne dans deux productions différentes à l’Opéra de Nice en 2013 et en 2019 et qu’il propose en ce mois de novembre une troisième production dans le Grand Auditorium du Conservatoire de Nice
2 Florian Laconi interprétait déjà le rôle de Piquillo en avril 2002 à l’Opéra de Metz dans une Périchole mise en scène par Jean Louis Grinda !
3 Ahlima Mhamdi après avoir chanté récemment Mère Marie dans les Dialogues des Carmelites à l’Opéra de Massy incarnera en ce mois de novembre la Reine Gertrude dans Hamlet d’Ambroise Thomas
Mise en scène : Serge Manguette
Direction musicale : Claude Lourties
Décors et costumes : TLA Production
Orchestre et Chœur :
Distribution :
La Périchole : Ahlima Mhamdi
Piquillo : Florian Laconi
Le vice-roi : Laurent Arcaro
Guadalena : Céline Laborie
Berginella : Emilie Rose Bry
Mastrilla : Cécile Piovan
Don Miguel de Panatellas : Grégory Juppin
Don Pedro de Hinoyosa : Eloi Horry
Le Marquis de Tarapote/ Le vieux prisonnier : Christian Blain