Avec « Passions Croisées », la version italienne d’Orphée et Eurydice, opéra de Christoph Willibald Gluck, a été transposée en Angleterre au 16e siècle.
Cette version italienne fut créée à Vienne le 5 octobre 1762 au Burgtheater en présence de l’impératrice Marie-Thérèse. Le livret, en italien, est de Ranieri de Calzabigi, la chorégraphie du ballet réglée par Gasparao Angiolini et le rôle-titre était tenu par le castrat Gaetano Guadagni.
Ce soir, c’est en Angleterre, au 16e siècle que se déroula le chef d’œuvre de Gluck. La reine Elisabeth vient de faire assassiner sa cousine (et secrète amante) Marie Stuart. S’enfermant dans la folie, elle se projette dans le mythe d’Orphée et Eurydice pour sauver un amour impossible. La royauté oscille entre folie et réalité, interrogeant l’ambiguïté des genres.
Guillem Aubry a donc fait un choix audacieux afin de présenter d’une autre manière un des mythes les plus connus de notre civilisation. Ce choix nécessitant un travestissement, Orphée est interprété par le tenant du rôle d’Elisabeth, le contre-ténor Léopold Gilloots-Laforge.
Les très beaux costumes élisabéthains confectionnés par Marguerite Woerlé, les effets de scène du plus bel effet, les décors certes minimalistes mais parlants réalisés pour cette occasion par Guillem Aubry, pour la mise en scène, l’Orchestre baroque « Les Ornements » jouant sur des instruments d’époque et diapason ancien, quatre choristes et 3 superbes solistes, dirigés par le chef d’orchestre très inspiré Cyril Pallaud, ont permis au public très nombreux d’apprécier l’un des chefs-d’œuvres de l’art lyrique du 18 siècle, où se côtoyaient : désir, amour, jalousie, culpabilité, courage et mort…
Grâce à la direction bien précise et avisée de Cyril Pallaud, musicien complet et homme-orchestre à la passion infatigable, les solistes et choristes ont pu donner le meilleur d’eux-mêmes avec beaucoup d’intensité et d’émotion.
Dans le rôle-titre, le contre-ténor Leopold Gilloots-Laforge a interprété un Orphée avec beaucoup d’émotion et d’humanité, tant par sa gestuelle que par sa voix homogène, empreinte de gravité et de profondeur. Quant à la soprano Margarita Polonskaya, membre de l’Académie de l’Opéra National de Paris, elle a incarné une Eurydice bouleversante et noble qui a mis en valeur son beau timbre à la fois cristallin, mais d’une grande ampleur. La soprano Thaïs Raï-Westphal a chanté et nous a enchantés dans le rôle de l’Amour avec une voix rayonnante et brillante dans les aigus et les graves.
Une soirée très réussie à tous points de vue, scénique, musicale et vocale, démontrant une fois de plus que l’opéra n’est pas forcément un orchestre de 60 musiciens, 40 chanteurs, et comme le mentionnait Guillem Aubry : « du temps de Mozart, les salles de spectacles étaient de la taille de Saint-Guillaume… ».
Marie-Thérèse Werling
16 octobre 2024