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Angers Nantes Opéra-Nantes (Théâtre Graslin) : Il Piccolo Marat (Pietro Mascagni)

Angers Nantes Opéra-Nantes (Théâtre Graslin) : Il Piccolo Marat (Pietro Mascagni)

mercredi 2 octobre 2024

©Garance Wester

Angers Nantes Opéra programme en ouverture de saison Il Piccolo Marat de Pietro Mascagni (1863-1945), livret de Giovacchino Forzano et Giovani Targioni-Tozzetti, ouvrage en résonance, on le verra, avec l’histoire de la Révolution française à Nantes. Il s’agit d’une production réalisée en collaboration avec la Fondazione Teatro Goldoni Livorno.

Foto Ritratto ufficiale dpietromascagni.com
Pietro Mascagni©DR

Le nom de Pietro Mascagni est surtout connu chez nous pour Cavalleria rusticana (1890) et dans une moindre mesure pour L’Ami Fritz, d’après Erkmann-Chatrian, même si son nom a contribué à populariser la notion de vérisme. Cavalleria rusticana arrive très vite en traduction à Paris à l’Opéra-Comique. L’Ami Fritz est donné à Anvers avant Paris en 1905. Deux autres ouvrages franchiront les Alpes : Iris monté à Monte-Carlo (1909) et Marseille (1911, en français) avant une reprise plus récente au festival de Radio France Montpellier et Il Piccolo Marat, dont quelques soirées de gala sont présentées en 1928 à la Gaîté Lyrique à Paris ; c’est Mascagni en personne qui dirige l’orchestre.

La date de la création d’Il Piccolo Marat en 1921 interroge quant à l’affiliation de l’ouvrage au vérisme certainement limité dans le temps (1890-1910), même si une certaine fluidité pénètre l’idée de courant artistique.

Si on voit dans le vérisme issu des œuvres de Giovanni Verga, un contexte régionaliste (le sud de l’Italie), le déchaînement des instincts (la vendetta, les « vraies larmes » de Paillasse et le coup de couteau), des procédés musicaux directs et impactants, de nombreux ouvrages italiens de compositeurs censés être réalistes se détachent du courant et rejoignent les formes les plus diversifiées de l’opéra italien au début du XXe siècle.

Les noyades de Nantes Anonyme Fin du 18e siecle col Musee dhistoire de N
Noyades de Nantes©DR

Que dire alors d’Il Piccolo Marat ?

À Nantes en 1793 deux jeunes gens se font intercepter par la foule qui entend contrôler le panier de la jeune fille soupçonnée de marché noir. La tension retombe avec l’apparition du président du Comité de Salut public surnommé L’Orco. La jeune fille, Mariella, est sa nièce qui lui apporte son repas ; quant à son compagnon qui a cyniquement disculpé son oncle, il décide d’intégrer les Marats, gardiens de la Révolution, sous le nom de Petit Marat. L’Orco accompagné de trois acolytes s’assure que les bateaux construits par le Charpentier pourront déverser les prisonniers en surnombre dans la Loire. Une première altercation a lieu entre un Soldat et L’Orco qui n’admet aucune ligne divergente sur sa stratégie politique. Le Petit Marat se rend à la prison où est détenue la Princesse de Fleury, sa propre mère. Son fils échafaude un plan de libération pour la soustraire à une exécution certaine.

Mariella s’allie au Charpentier qui est un espion à la solde du Soldat. Le Petit Marat soustrait les documents concernant sa mère dans les papiers apportés à L’Orco. Ce dernier dépouille les prisonniers de leurs biens, s’agace de la perte de ses documents et fait arrêter par la foule le Soldat qui s’en est pris à Robespierre. Le Petit Marat déclare sa flamme à Mariella qu’il associe à son plan d’exfiltration de sa mère.

Mariella et le Petit Marat se préparent à fuir, conformément à un plan mis au point avec le Charpentier. Mais ils doivent auparavant maîtriser L’Orco afin qu’il signe les saufs-conduits. L’Orco qui est parvenu à se libérer de ses liens tire une balle sur le jeune homme qu’il blesse. Le Petit Marat fait s’échapper Mariella qui rejoindra sa mère. Alors que L’Orco se prépare à le tuer, le Charpentier arrivé à temps assomme mortellement l’agresseur avec un chandelier et conduit le jeune homme vers la liberté.

La Terreur à l’Opéra

L’ouvrage nous plonge dans l’époque révolutionnaire de la Terreur, mais se réfère davantage à la « tranche de vie » qu’à la peinture réaliste de l’histoire. Les faits sont pourtant indiscutables, parfaitement documentés dans plusieurs ouvrages historiques parus au début du XXe siècle (G. Lenotre, Victor Martin). Jean-Baptiste Carrier en septembre 1793 est envoyé à Nantes par la Convention pour gérer de façon implacable la résistance de l’aristocratie et des prêtres à la Révolution. Les arrestations se multiplient, les prisonniers par milliers sont noyés dans la Loire, qualifiée alors de « baignoire nationale ». Ils sont embarqués dans des navires dont les cales déversent dans les flots la chair humaine. Mascagni et ses librettistes sans rien omettre de la réalité plaquent sur l’Histoire un récit centré sur quelques personnages, tous d’ailleurs privés d’état civil précis à l’exception de la Princesse de Fleury et de son fils. On est plus près de Wozzeck avec les types de l’Espion, du Voleur, du Tigre et du Charpentier que de Cavalleria rusticana. Quant à l’ampleur du peuple elle ne peut aller au-delà de ce qu’un théâtre peut réunir en terme de forces chorales.

Pour autant la violence et les atrocités sont bien là sur scène. Si l’exécution sommaire du Soldat (hors scène) relève de l’Histoire, le coup de pistolet, la blessure mortelle assénée par le Charpentier relèvent d’une dramaturgie propre aux enjeux non seulement politiques mais aussi familiaux et amoureux qu’on retrouve tout du moins pour les seconds dans Tosca.

La partition hésite entre le vérisme dans le traitement de la voix (le haut medium sollicité chez le ténor) et l’expressionnisme allemand auquel on pourrait rattacher le leitmotiv principal, non détaché dans un intermezzo comme dans Cavalleria rusticana par exemple, mais traité dans le discours musical du troisième acte, comme on le voit chez Richard Strauss.

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©Garance Wester

La mise en espace

La mise en espace de Sarah Schinasi conserve l’idée de concert : un orchestre sur scène, des interprètes et un chœur proches du public, ce qui donne un réel impact à la partition. S’inspirant de la version de 1921 montée au Teatro Goldoni à Livourne, mais à Nantes sans décors, elle parvient à donner vie aux péripéties de l’intrigue, en s’appuyant sur la congruence des personnages qui répond à la diversité des situations. On est loin du chant débité par une distribution alignée en rang d’oignons ; on est bien davantage dans le jeu du théâtre. Pour les scènes d’extérieur le chœur est disposé de chaque côté du théâtre et dans les loges afin de faire vivre l’altercation de la foule et des Marats. L’espace scénique permet au jeune aristocrate de fronder avant de s’affilier à ceux dont il tirera parti, Mariella étant au départ l’enjeu de la situation. Le Charpentier peut ensuite présenter bien que terrorisé son projet de bateau à L’Orco, tout comme le Soldat tire ses premiers traits contre le président du Comité de Salut public ou Le Petit Marat accède contre toute attente à sa mère emprisonnée.

Aux actes II et III le mobilier concrétise un peu plus la dramaturgie théâtrale. Le jeu prend le pas sur le concert. À l’acte II après la rencontre du Charpentier et de Mariella, c’est le défilé des prisonniers spoliés ; le duo d’amour peut faire abstraction du décor, comme dans tout opéra où l’attention se porte sur chant. L’acte III est du pur théâtre avec la violence découlant de situations poussées à l’extrême et jouées avec le plus de réalisme possible (l’extorsion des signatures, le coup de revolver, L’Orco assommé par un chandelier…).

La distribution

Il Piccolo Marat contient des pages admirables et des personnages passionnants. Le personnage du Soldat est relativement épisodique, mais il représente un des temps forts de l’ouvrage au premier et deuxième acte. La vision humaniste et militaire de la Révolution qu’il symbolise face à l’intransigeance idéologique de L’Orco est à l’origine d’une scène d’une tension inouïe. Le jeune baryton Matteo Lorenzo Pietrapiana a la trempe qui convient à ce très beau rôle ; l’invective s’inscrit dans des phrasés articulés et projetés à la perfection.

Autre personnage passionnant, le Charpentier. Le riche legato de Stavros Mantis est au service d’un discours contrasté où domine l’effroi (notamment dans le récit des exécutions auxquelles L’Orco l’oblige à assister), mais chez qui apparaît au deuxième acte l’évocation du Nantes d’avant la Révolution, passage dans lequel l’arioso se teinte de touches mélodiques raffinées.

Troisième clef de Fa et non des moindres L’Orco, immense rôle distribué à Andrea Silvestrelli, qui s’illustre dans les grands emplois de baryton aux États Unis où il est affiché dans L’Or du Rhin et le Crépuscule des Dieux. La voix est puissante, mordante, accordée à la férocité du révolutionnaire « ivre de sang et de vin », véhément pour répliquer au Soldat, épuisant ses dernières forces mais non les ressources d’une voix particulièrement expressive au troisième acte dans la nasse où il est pris.

Ce sont les personnages de Mariella et du Petit Marat qui dominent la partition. Leur duo du deuxième acte « Avrai nella mia mamma » est sans doute un des plus beaux duos du répertoire de l’opéra italien ; on s’étonnerait presque qu’il vienne trente ans après Cavalleria rusticana

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©Garance Wester

Le rôle du Petit Marat n’est pas évident, une partie se développant dans la simulation et la feinte, l’autre s’exprimant dans le lyrisme passionné pour sa mère et pour celle dont il s’éprend, Mariella ; il devra même devant elle pour gagner sa confiance faire amende honorable sur son double jeu, parfois peu lisible. Distribué partout en Italie et notamment aux Arènes de Vérone, Samuele Simoncini a la couleur, les accents, le timbre plein du rôle ; le maniement du registre situé dans le haut de la voix voulu par le vérisme n’ôte rien au corps de l’instrument mais au contraire lui fait gagner en fougue et en charme.

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©Garance Wester

La jeune soprano Rachele Barchi séduit par une ligne de chant sûre, des articulations efficaces et une réelle ampleur que produisent une voix longue et un volume bien maîtrisé. La comédie d’intrigue qu’elle joue à merveille comme les affects naissants de la jeune femme sont privilégiés.

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Pas de rôle secondaire pour La Mère, Sylvia Kevorkian, émouvante et bien chantante, ni pour pour les trois complices de L’Orco joués et chantés dans une pertinente synergie par Alessandro Martinello (L’Espion), Simone Rebola (Le Voleur) et Gian Filippo Bernardini (Le Tigre).

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©Garance Wester

Les stricts comprimari sont interprétés par des artistes du chœur d’Angers Nantes Opéra : Pablo Castillo Carrasco, Bo Sung Kim, Carlos Torres Montenegro, Agustin Perez Escalante, Nicolas Brisson qui démontrent la qualité de l’ensemble au niveau des individualités. Le chœur très sollicité, dirigé par Xavier Ribes, s’exprime avec l’ampleur, l’exaltation et le rythme voulus dans les tableaux révolutionnaires ; il sait aussi faire passer le souffle de la religion dans les moments non moins apaisés.

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©Garance Wester

Mario Menicagli à la tête à la tête de l’Orchestre National des Pays de la Loire est un chef atypique. Il s’implique sur la scène jazz et pop italienne, mais il est aussi celui qui a composé une suite à Cavalleria rusticana, Dodici anni dopo ou un opéra inspiré de la pandémie De’ reliques d’une quarantaine. Sa direction décantée de toute scorie, portant un regard neuf sur l’œuvre est tout simplement épatante sur le plan du théâtre comme sur celui de la symphonie.

Le public a plébiscité chaleureusement cette exhumation bienvenue.

Didier Roumilhac
2 octobre 2024

Direction musicale : Mario Menicagli
Mise en espace : Sarah Schinasi

Mariella : Rachele Barchi
L’Orco : Andrea Silvestrelli
Le petit Marat : Samuele Simoncini
La Mère : Sylvia Kevorkian
Le Soldat : Matteo Lorenzo Pietrapiana
Le Charpentier : Stavros Mantis
L’Espion : Alessandro Martinello
Le Voleur : Simone Rebola
Le Tigre : Gian Filippo Bernardini
Le Capitaine : Pablo Castillo Carrasco
Une voix : Bo Sung Kim
Une voix interne : Carlos Torres Montenegro
Une voix interne et le porteur d’ordre : Agustin Perez Escalante
Le Prisonnier, L’évêque : Nicolas Brisson

Chœur d’Angers Nantes Opéra
Direction : Xavier Ribes

Orchestre National des Pays de la Loire

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