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Siegfried à La Monnaie de Bruxelles : à mi-Tétralogie, Pierre Audi prend le relais de la réalisation visuelle

Siegfried à La Monnaie de Bruxelles : à mi-Tétralogie, Pierre Audi prend le relais de la réalisation visuelle

dimanche 22 septembre 2024

Magnus Vigilius et Peter Hoare © Monika Rittershaus

On ne sait pas si le Théâtre de La Monnaie a été inspiré par les récentes épreuves de relais aux Jeux olympiques – quoique l’hypothèse paraît fort improbable et relève davantage du domaine financier ! – mais il a décidé de changer l’équipe de mise en scène en plein milieu de sa nouvelle Tétralogie wagnérienne. C’est ainsi qu’après les deux premiers volets confiés à Romeo Castellucci, déjà chroniqués dans ces colonnes, les deux derniers sont pris en charge par Pierre Audi. A la suite des chiens, oiseaux et chevaux pour la Walküre, les spectateurs qui rêvaient d’un ours vivant pour accompagner Siegfried dans ses parties de chasse en seront pour leurs frais ! C’est une proposition assez classique que propose globalement l’actuel directeur du Festival d’Aix-en-Provence, ne serait-ce un petit film préliminaire projeté sur un voile en avant-scène. On y voit des enfants maquillés et costumés qui jouent à Siegfried, certains tapant à qui mieux mieux sur des morceaux d’épée en carton pour reconstituer l’arme fatale.

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Gábor Bretz et Scott Hendricks© Monika Rittershaus

Au premier acte, Siegfried et Mime évoluent d’abord sur un praticable à mi-hauteur, qui prend la largeur du plateau. Mais l’élément principal de la scénographie est une sphère monumentale suspendue à l’arrière, à la surface accidentée et d’aspect métallique, comme une boule géante en papier d’aluminium froissé. C’est de ce volume que répond le dragon Fafner au deuxième acte, en ouvrant et fermant quelques panneaux et projetant de la lumière à partir de l’intérieur. Les six poteaux, ou jambes qui supportent la boule, tombent d’un coup quand Siegfried tue le dragon. La sphère est aussi présente lorsque Erda rend visite au Wanderer/ Wotan à la première scène du dernier acte, la réplique en petite boule posée à cour nous évoquant alors la forme d’un cerveau… la grosse boule pour figurer la connaissance universelle d’Erda ?

Mais pour revenir au premier acte, c’est en boxeur qui frappe un sac d’entraînement qu’entre en scène Siegfried et on ne verra son ours qu’en gros nounours en peluche, l’espace, quand Mime essaie de lui enseigner la peur, se transformant en grande chambre d’enfant dans une couleur bleue nuit. Le jeu sur les lumières et la fumée est d’ailleurs très riche et varié, le praticable se séparant en deux gros caissons mobiles et permettant, disposés suivant différents angles, la projection des ombres des protagonistes. Et c’est aussi dans une épaisse fumée, des flammes et des étincelles que Siegfried parvient à forger son épée Notung.

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Gábor Bretz et Nora Gubisch© Monika Rittershaus

La présence du Wanderer/ Wotan est accompagnée en permanence de sa lance, un très long néon blanc suspendu aux cintres.  Alter ego visuel du Wanderer, Alberich tout de noir vêtu et chapeau vissé sur un crâne chauve forme une très inquiétante paire avec Wotan, plongée dans une lumière verte mystérieuse au II. Plus léger, l’oiseau est joué par un garçon qui s’agite gentiment, tandis que le chant est pris en charge par une chanteuse voilée de noir derrière lui.

Du fait de la discontinuité des équipes de production, on ne retrouve pas exactement, pour le dernier tableau du troisième acte, l’image laissée à la conclusion de la Walküre précédente. L’espace est tout de même ici d’un blanc immaculé et plusieurs éléments de la surface de la boule sont suspendus, comme de petits rochers. Brünnhilde monte des dessous en position debout, immobile comme une statue et sans casque ni armure, son réveil étant marqué par une modification des lumières. Alors qu’elle baignait dans un halo blanc, on commence alors graduellement à distinguer son visage, souriant au monde et à son libérateur Siegfried. La projection des dessins d’enfants revient pendant les dernières mesures, comme si cet opéra n’était qu’une fable, une histoire qu’on raconte inlassablement aux mélomanes wagnériens !

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Magnus Vigilius et Ingela Brimberg©Monika Rittershaus

Le plateau vocal recèle de très bons éléments, à commencer par le Siegfried particulièrement vaillant de Magnus Vigilius. Le ténor danois a, pour l’instant, uniquement abordé le rôle à l’Opéra de Copenhague et sa deuxième fréquentation de cet emploi très lourd, ici à Bruxelles, est remarquable. Le timbre est de surcroît agréable et l’articulation du texte très claire. Un peu dominé par l’orchestre à la forge en fin d’acte I, il s’épanouit magnifiquement au cours des deux suivants conservant ses ressources pour assurer le duo final avec Brünnhilde. L’autre ténor Peter Hoare n’évolue pas exactement au même niveau de qualité en Mime. Le timbre et le style correspondent bien au personnage répugnant et son jeu est tout à fait en situation, mais le chanteur accuse un déficit de puissance dans la moitié inférieure du registre qui atténue, voire fait disparaître à nos oreilles, une partie du texte.

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Magnus Vigilius et Ingela Brimberg ©Monika Rittershaus

On retrouve avec un grand bonheur Gábor Bretz en Wanderer/ Wotan, qui déroule un chant serein, ferme et d’une grande noblesse. Dans ses vêtements noirs et une paupière quasiment fermée par une déformation du visage, son allure a effectivement de quoi terroriser le pauvre Mime quand lui sont posées les trois questions au premier acte ! D’une projection un peu moins puissante, l’Alberich de Scott Hendricks impressionne tout de même, avec une voix qui bouge légèrement. Autre voix grave, Wilhelm Schwinghammer impose un Fafner amplifié dans ses premières interventions, tandis qu’il tient un cadavre dans ses bras lorsqu’il meurt lui-même, on imagine celui, vraisemblablement momifié depuis des années, de son frère Fasolt.

Le contraste est ensuite extrême entre la soprano aérienne Liv Redpath qui chante la Voix de l’Oiseau avec des vibrations comme des battements d’ailes, et l’instrument riche et sombre de Nora Gubisch en Erda, certainement davantage mezzo que contralto, avec des aigus qui partent comme des flèches.

Enfin, la Brünnhilde d’Ingela Brimberg est au rendez-vous vocal de son Réveil, typique format de soprano wagnérienne qui assure le contrôle de son vibrato.

Mais le grand triomphateur de la représentation est à nouveau Alain Altinoglu en fosse, à la tête de son Orchestre symphonique de la Monnaie en très belle forme. Les beautés de la partition sont idéalement rendues sur un somptueux tapis de cordes, par de vigoureux cuivres et des bois qui détaillent avec virtuosité leurs parties, bref un ensemble qui n’a pas grand-chose à envier aux formations les plus célèbres au monde. Un exemple parmi bien d’autres : lorsque Mime raconte à Siegfried ses jeunes années et l’éducation prodiguée, le rythme se fait alors bien marqué, comme celui d’une danse, pendant qu’on entend les contrepoints, bien équilibrés en volume. On ne résiste pas à un deuxième exemple, celui de l’introduction du troisième acte, particulièrement puissante dans ses climax. Une standing ovation spontanée du public salue la performance, dès le rideau tombé.

Irma FOLETTI

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Siegfried, Deuxième journée du Festival scénique Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner

Bruxelles, Théâtre de La Monnaie le 22 septembre 2024

Direction musicale : Alain Altinoglu
Mise en scène : Pierre Audi
Décors : Michael Simon
Costumes : Petra Reinhardt
Dramaturgie : Klaus Bertisch
Éclairages : Valerio Tiberi

Distribution : 

Siegfried : Magnus Vigilius
Mime : Peter Hoare
Der Wanderer : Gábor Bretz
Alberich : Scott Hendricks
Fafner : Wilhelm Schwinghammer
Brünnhilde : Ingela Brimberg
Erda : Nora Gubisch
Stimme eines Waldvogels : Liv Redpath

Orchestre symphonique de la Monnaie

Production : La Monnaie

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