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FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE- Grand théâtre de Provence « Le cœur a ses raisons… » qu’Elīna Garanča et le piano subtil de Malcom Martineau nous dévoilent lors d’un magnifique récital

FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE- Grand théâtre de Provence « Le cœur a ses raisons… » qu’Elīna Garanča et le piano subtil de Malcom Martineau nous dévoilent lors d’un magnifique récital

jeudi 18 juillet 2024

© Vincent Beaume.

Succédant à Sondra Radvanovsky, dans un programme où l’on retrouve, entre autres, des lieder – parfois communs – de Richard Strauss et des romances de Sergueï Rachmaninov, le récital de la mezzo-soprano lettone entraine le public vers des sommets de romantisme à l’opposé de tout pathos.

Pour suivre Elīna Garanča sur scène depuis de nombreuses années, on sait que l’on est ici face à une artiste qui ne se livre pas facilement sur scène – et pas dans tous les rôles abordés ! – préférant souvent le côté cérébral au côté sanguin de certaines de ses collègues en exercice. En cela, il était fort intéressant, à quelques jours d’intervalle, de voir se succéder en récital l’une des Carmen de notre temps les plus internationalement demandées à l’une des grandes artistes de sa génération dans le répertoire lyrique romantique et post-romantique (Sondra Radvanovsky donc). Disons-le tout net : l’avantage, dans le cadre déterminé du récital, va, selon nous, indéniablement à la mezzo lettone.

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© Vincent Beaume.

De retour au festival d’Aix-en-Provence après une Dorabella de Così mise en scène par Patrice Chéreau en 2005, c’est dans une élégance floréale, noire et blanche tout d’abord, bleue nuit – polaire !- après l’entracte, que nous apparaît Elīna Garanča. Il nous faut peu de temps pour convenir que cette forme d’élégance et de classe naturelle – qui, peut-être pas innocemment, évoque irrésistiblement dans ses pauses hiératiques Elisabeth Schwarzkopf en Maréchale…un rôle que Sondra Radvanovsky projette d’ailleurs d’aborder bientôt sur scène ! – se retrouve dans la moindre des inflexions d’une voix qui, sans être « Énorme » – le programme appelle de toute façon d’autres types de qualités – délivre la plus belle des palettes de couleurs.

En récital, c’est une affaire entendue, ce que l’on attend d’un interprète se situe, tout d’abord, dans l’intelligence de la langue des textes chantés – dont certains, comme c’est le cas dans le programme choisi, sont tout de même signés par quelques pointures de la littérature poétique : de Hermann von Gilm à Heinrich Heine, de Victor Hugo à Léon Tolstoï en passant par John Henry Mackay et, pour la partie lettonne, Jānis Poruks et Aspazija (nom de plume d’Elza Pliekšāne, écrivaine féministe et figure emblématique de sa nation !). En outre, rien ne peut se faire sans une complicité de chaque instant mélodique avec un pianiste rompu à l’exercice : avec le grand Malcom Martineau, élève en particulier du non moins grand Geoffrey Parsons, on se situe d’évidence sur les sommets !

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©Vincent Beaume.

La rencontre entre ces deux artistes est déjà une histoire ancienne puisque c’est Malcom Martineau qui accompagne Elīna Garanča dans son album Lieder paru en 2020 chez DG, consacré à Schuman et Brahms. Sur le vif, cela donne à entendre une voix qui sait parfaitement prendre la mesure de l’espace de la salle du Grand théâtre de Provence, cisèle et fait résonner chaque mot, dégageant, dès la partie consacrée à Brahms, des thématiques chères au romantisme telles que le dialogue entre le sentiment amoureux, les saisons et la nature dans leurs divers aspects. Jamais d’épanchement ici, ni dans ce qui va suivre, mais l’écoute mutuelle de deux grands partenaires qui savent, ensemble, se mettre en valeur, en particulier, pour succéder à Brahms, dans l’exploration – et, pour nous, la découverte – de mélodies signées par la fine fleur des compositeurs lettons Jāzeps et Jānis Medinš, Alfrēds Kalninš, Jāzeps Vītols, contemporains des romantiques et post-romantiques au programme. Quel beau florilège dans ce choix où Elīna Garanča sait camper un environnement personnel fait de rêverie, de pluie douce, de rivages étoilés et d’îles miraculeuses jamais très éloignées de celles des morts. L’engouement du départ pour un voyage vers l’être aimé voit ainsi très vite lui succéder la douleur des souvenirs du passé et la voix aux aigus dardants se fait alors soudain déchirante, tout comme le piano qui l’accompagne ou plutôt la soutient.

Dans la série consacrée aux lieder de Richard Strauss, le travail sur le legato et l’expression fait scintiller ce duo de nuances poétiques infinies et la diction allemande de belle facture de la récitaliste – mais ce sera encore le cas dans le répertoire russe qui suit – lui permet de rendre accessible la sensation d’espièglerie et de gaieté de Winternacht (Nuit d’hiver), y compris pour un non germaniste !

Même si, d’une façon toute personnelle, on attend peut-être un lyrisme davantage à fleur de peau dans les sublimes romances de Rachmaninov, il convient objectivement d’écrire qu’Elīna Garanča sait particulièrement lier ici (dans Matin, Rêve et Longtemps dans le silence de la nuit, extraits des Six romances, opus 4 et 8) puissance et reflets mordorés de son instrument, suivie – ou précédée ! – par un Malcom Martineau qui fait sonner son piano comme un véritable orchestre : l’un des moments les plus passionnants de cette soirée qui n’en aura pas manqué !

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© Vincent Beaume.

Si l’on retrouve la nostalgie de Rachmaninov pour premier bis, c’est vers l’Espagne de Bizet puis de De Falla (Berceuse) que se tourne la maîtresse des lieux pour prendre congé d’un public enthousiaste. Avec la habanera, la récitaliste sort de sa zone d’intérêt d’un soir et parcourt soudain la scène pour faire entrevoir à ceux qui pourraient l’ignorer qu’une artiste lyrique authentique a plusieurs cordes à son arc : un court instant, les beautés nordiques font place à la chaleur de l’accent et au geste suggéré mais déjà sensuel…on en redemande, bien sûr !

Hervé Casini
18 juillet 2024

Les artistes 

Elīna Garanča, mezzo-soprano

Malcom Martineau, piano

Le programme 

Mélodies, lieder, romances, air d’opéra et berceuse de Johannes Brahms (1833-1897), Jāzeps Medinš (1877-1947), Jānis Medinš (1890-1966), Alfrēds Kalninš (1879-1951), Jāzeps Vītols (1863-1948), Richard Strauss (1864-1949), Sergei Rachmaninov (1873-1943), Georges Bizet (1838-1875) et Manuel de Falla (1876-1946).

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